LE FLACON

XLIV

Il est de forts parfums pour qui toute matière

Est poreuse ; — on dirait qu’ils pénètrent le verre.

Quelquefois en ouvrant un coffre d’Orient

Dont la serrure grince et rechigne en criant,


Ou dans une maison déserte quelque armoire,

Sentant l’odeur d’un siècle, arachnéenne et noire,

On trouve un vieux flacon jauni qui se souvient,

D’où jaillit toute vive une âme qui revient.


Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,

Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,

Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,

Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.


Voilà le souvenir enivrant qui voltige

Dans l’air troublé ; les yeux se ferment ; le vertige

Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains

Vers un gouffre où l’air est plein de parfums humains.


Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,

Où, Lazare odorant déchirant son suaire,

Se meut dans son réveil le cadavre spectral

D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.


Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire

Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire

Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,

Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,


Je serai ton cercueil, aimable pestilence !

Le témoin de ta force et de ta virulence,

Cher poison préparé par les anges ! liqueur

Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur !

LE FLACON

XLVIII

Il est de forts parfums pour qui toute matière

Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.

En ouvrant un coffret venu de l’Orient

Dont la serrure grince et rechigne en criant,


Ou dans une maison déserte quelque armoire

Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire,

Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,

D’où jaillit toute vive une âme qui revient.


Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,

Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,

Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,

Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.


Voilà le souvenir enivrant qui voltige

Dans l’air troublé ; les yeux se ferment ; le Vertige

Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains

Vers un gouffre obscurci de miasmes humains ;


Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,

Où, Lazare odorant déchirant son suaire,

Se meut dans son réveil le cadavre spectral

D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.


Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire

Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire

Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,

Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,


Je serai ton cercueil, aimable pestilence !

Le témoin de ta force et de ta virulence,

Cher poison préparé par les anges ! liqueur

Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur !